Dans un projet de loi qui doit amender le code de l’énergie, l’exécutif entend supprimer l’objectif de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre, inscrit dans la loi depuis 2005, pour aller vers la «neutralité carbone». Le Figaro fait le point.
Une petite modification lourde de conséquence. Le 4 février dernier, le projet de loi énergie a été adressé pour avis au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le texte doit ensuite être validé dans les prochaines semaines par les parlementaires. Selon des informations de plusieurs médias, dont Libération et Reporterre, le gouvernement s’apprête, via ce projet de loi, à supprimer discrètement le code de l’énergie en sacrifiant un des objectifs majeurs de la politique énergétique et climatique de la France: la réduction par quatre des émissions de gaz à effet de serre du pays d’ici à 2050. Un objectif pourtant inscrit dans la loi au début des années 2000. Le Figaro fait le point.
» LIRE AUSSI – Ces quatre dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées
● Que prévoit le projet de loi?
Alors que la pétition pour l’Affaire du siècle (qui vise à soutenir un recours en justice de quatre ONG contre l’État français pour qu’il «respecte ses engagements climatiques») rassemble plus de 2,1 millions de signatures, et que le ministre de la Transition écologique François de Rugy s’est dit prêt à échanger avec les 100 premiers signataires, la France s’apprête à opérer un nouveau recul sur le plan climatique. L’article 1er du projet de loi, dont nous nous sommes procuré une copie, prévoit la suppression dans le code de l’énergie du fameux «facteur 4». Concrètement, la formule «diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2050» sera remplacée, dans la nouvelle formulation, par «atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050». Et cela change tout.
L’objectif du «facteur 4» avait été inscrit dans la loi de programmation fixant les orientations de la politique énergétique (Pope) de 2005, sous la présidence de Jacques Chirac. Il avait été confirmé en 2009 dans la loi Grenelle 1, sous Nicolas Sarkozy, puis dans la loi de transition énergétique de 2015, sous François Hollande. Le gouvernement rétorque au contraire que l’engagement de diviser par huit les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 sera présent dans le projet de loi. Un engagement «inédit», selon François de Rugy.
Le projet de loi prévoit en outre de réduire le niveau total d’économie d’énergie du pays de 20 à 17% par rapport à 2012, mais aussi d’augmenter la baisse prévue de la consommation des énergies fossiles de 30% en 2030 à 40%. Enfin, la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50%, qui était prévue à 2025, est repoussée à 2035.
● Qu’est-ce que la «neutralité carbone»?
Cela consiste à construire une société qui n’émettrait pas plus de gaz à effet de serre que sa capacité à en absorber. Dans l’exposé des motifs joint à l’article 1er du projet de loi, l’exécutif précise que la dans les termes de l’accord de Paris [sur le climat, de 2015]», celle-ci «est entendue comme l’atteinte de l’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre et les absorptions anthropiques (c’est-à-dire les absorptions par les écosystèmes gérés par l’homme tels que les forêts, les prairies, les sols agricoles et les zones humides, et par certains procédés industriels, tel que la capture et le stockage du carbone)».
» LIRE AUSSI – Deux courtes animations résument plus de 150 ans de réchauffement climatique
Un objectif noble en soi. Seulement, pour capturer et stocker les gaz à effet de serre, cela passe par la plantation massive d’arbres – ce que la France ne prévoit pas pour le moment – ou par un projet industriel qui n’est pas au point à l’heure où nous écrivons ces lignes.
● Que disent les défenseurs de l’environnement?
Ce texte a suscité une vague de réactions négatives. L’ONG Greenpeace France a ainsi jugé que la «neutralité carbone» est «un objectif trop vague et trop éloigné qui ouvre grand la porte aux fausses solutions, comme les agrocarburants ou les procédés industriels de stockage du carbone». «Le rapport du GIEC d’octobre 2018 rappelait l’urgence de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et l’ampleur des efforts nécessaires pour relever ce défi. C’est pourquoi la neutralité carbone doit être atteinte au plus tard en 2040, et non en 2050, comme le propose le gouvernement», poursuit-elle. Par ailleurs, l’association estime que repousser la réduction de la part du nucléaire «sans gages supplémentaires en matière sûreté et sécurité nucléaire (…) est une bombe à retardement».
» LIRE AUSSI – Le Giec appelle à des transformations «sans précédent» pour limiter le réchauffement
De son côté, l’expert en énergie Yves Marignac déplore l’abandon souhaité du «facteur 4». «La neutralité carbone sans objectif chiffré de réduction laisse la porte ouverte à moins de réduction et plus de “compensation”. La loi devrait donc, en plus de l’objectif zéro net, maintenir un objectif renforcé de réduction des émissions brutes: division par 8 ou plus…», écrit-il sur Twitter.
Le député Matthieu Orphelin, qui vient de quitter le groupe La République en marche, ne «pense pas que la question de la division par 4 ou la neutralité carbone soit le plus important». «La vraie question est: que fait-on dans les trois prochaines années pour ENFIN réduire nos émissions?», écrit-il.